Déconfinement : distribution de masques à la mairie de banlieue : seulement deux par personne sauf pour les personnes âgées qui ont droit à dix. Un jeune se plaint de n’avoir droit qu’à deux : «Nous, on les aura quand on sera morts !» Sur les pelouses, les jeunes, le dimanche, improvisent des spectacles de danses et de chants galvanisés d’adrénaline et de rythmes. Le public de promeneurs les applaudit, en liesse.
C’est une vague d’euphorie générale. Jeunes et vieux, regroupés en désordre rayonnent de bruyante béatitude. Les inconnus, dans ces zones du chacun pour soi, tout d’un coup se connaissent et se saluent. Les espaces verts et les rez-de-jardin, du lever au coucher du soleil, sont une vaste cour de récréation pour les multitudes d’enfants qui n’ont pas encore repris l’école. Les mères, voisines volubiles, n’ont jamais été aussi amies les unes des autres, dans l’effusion sonore collective de la liberté. Même les insectes sont de la fête, on n’avait jamais vu autant de papillons blancs et d’abeilles dans l’air, moins pollué, depuis l’arrêt du trafic routier et aérien. Le quartier devient une volière d’espèces exotiques où des perruches perroquet, invisibles avant les mois de confinement, surgissent des mystères du sous-bois et survolent les rues avec des cris stridents.
La banlieue délivrée semble non plus défavorisée comme avant, mais privilégiée pour bénéficier d’un environnement naturel aussi préservé, aussi verdoyant, bien plus riche d’air, d’arbres, d’herbe, de fleurs, de bouts de forêts et de rives de lacs que la capitale proche, dont la période de confinement a souligné la densité urbaine asphyxiante. Les pauvres du 91 paraissent se sentir soudain mieux nantis que les «riches» de Paris… Comme si le coronavirus accélérait les prémices d’une sensibilité et d’une conscience populaires écologiques. Mais il y a bien sûr le revers d’un déconfinement expansif : arc-boutés sur des vélos gonflés à bloc, des bandes de cyclistes, équipés de casques rutilants, dévalent en héros de jeux vidéo la butte gazonnée du petit square habituellement désert transformé en sauvage toboggan pour deux roues, par l’ivresse de la libération. Tout autour, les sentiers fourmillent de joggers haletants, en pleine performance.
Tout le monde se défoule, court, marche, s’essouffle, s’étire sportivement, jouit d’entretenir sa forme. Une rude et fière banlieue sud débordante de santé retrouvée explose – hélas, provisoirement – d’un regain de joie de vivre, après les mois d’enfermement et avant la prochaine crise.
Chantal Chawaf